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2020-01-09 Un Notre Père très franciscain ?

Ce fut une soirée très agréable et intéressante (une de plus !), devant un public bien nombreux, captivé par les propos de notre conférencier ! Dominique Poirel, en tant que chercheur, nous a fait partager son enthousiasme à la découverte de ce texte inconnu découvert dans le fameux manuscrit privé sauvegardé in extremis par la BNF !
Le manuscrit dans son entier apparaît être comme un petite bibliothèque "portative" emporté par un groupe des premiers frères franciscains, très manifestement dans le but de les aider à préparer leurs prêches et pour conduire les lecteurs et les auditeurs à la méditation.

Parmi les textes de ce manuscrit, outre la vie retrouvée de François, figurait "un Commentaire du Notre Père". Un texte placé dans le manuscrit juste après la Règle et les Admonitions : un texte recopié, mais avec des erreurs de syntaxe qui laissent entendre que les personnes qui ont recopié le texte n’étaient pas des clercs instruits, un texte saturé de réminiscences bibliques.
Quant à la datation de texte lui-même, des indices semblent indiquer une datation aux alentours du 2° tiers du 13° siècle (vers 1230/40). Ce texte remonte donc à une époque pas trop éloignée de François : dès la première génération des frères... On se trouve en présence d’une prédication franciscaine primitive. L’auteur fréquente la Bible, mais il n’a aucune connaissance de l’exégèse. Par contre il fait preuve d’une grande force rhétorique et spirituelle.

Peut-on aller jusqu’à dire que ce texte serait de François ? Plusieurs arguments ont été invoqués par Dominique Poirel : le texte fait preuve d’une certaine autorité, l’auteur nourrit avec le Christ une relation assez intime, le goût de l’auteur pour des kyrielles d’exclamations, l’exhortation très franciscaine de ne pas se contenter de réciter le Pater, mais de le mettre en action dans sa vie, etc...
Des objections : ce texte ne figure pas dans le Corpus des textes attribués à François. De plus, il y a déjà un Pater paraphrasé attribué à François (or les deux versions sont très différentes). Cependant le conférencier se demande, à ce propos, si ce Pater paraphrasé ne serait pas plutôt un Pater non composé par François, mais que François affectionnait tout particulièrement. Car la rédaction très précise de ce Pater paraphrasé ne semble pas correspondre au style du langage de François, qui s’exprime plutôt dans une langue simple et brûlante de ferveur, avec une spiritualité exigeante et très affective, qui voulait avant tout conduire les auditeurs à la pénitence (à la conversion) et à la ferveur spirituelle.

Pour conclure ce bref résumé de cette soirée particulièrement instructive, nous ne trouvons pas d’autre conclusion que celle de Dominique Poirel à l’issue de la conférence :

"Si ce texte n’est pas de François, il doit être d’un de ses frères et des tout proches.
J’invite à voir dans cet texte une prédication orale, soit de François lui-même (et ça n’est pas aussi impossible que l’on aurait pu penser), soit d’un compagnon proche de François, ou d’un frère des premières générations, reportée, traduite, et enrichie par un confrère plus savant.
Qu’il soit attribuable ou non à François, le texte me semble vraiment mérité l’attention :
En raison de sa forte originalité littéraire, de sa vigueur doctrinale, sa langue simple, proche du vernaculaire et brûlante d’éloquence, sa méthode exégétique inédite, qui fait de ce Commentaire une sorte d’action théâtrale, dans laquelle le Christ lui-même s’adresse aux fidèles, pour leur reprocher âprement de trahir par les actions qu’ils commettent les paroles du Pater qu’ils prononcent, enfin sa spiritualité absolue, exigeante, fortement affective, qui passent souvent des reproches les plus cinglants aux effusions les plus tendres. Elle fait "feu de tous bois" pour provoquer les auditeurs à la conversion.
Ceci convient bien à ce que nous pouvons connaître de la spiritualité radicale des premiers frères franciscains. Mais cela correspond aussi bien à ce que les premiers hagiographes rapportent de la prédication de St François, une prédication qu’ils décrivent comme simple, fervent, pénétrante, enflammée, visant avant tout la pénitence et le salut des âmes et n’épargnant dans ce but, l’âpre réprimande, ni la crainte utile, ni la menace du jugement de Dieu...
Donc je laisse ouverte la question et j’ai essayé d’ouvrir devant vous ce dossier !"

A noter le livre composé par Dominique Poirel aux éditions du Cerf : "François d’Assise - Commentaire du Notre Père - Un document inconnu du Poverello ?
Avec l’indication en page de couverture : Ce commentaire est un texte beau, fort, qui transmet un écho fidèle et rare de la culture et de la prédication franciscaines primitives"